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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

dans ses bras ; le battement suivant le laissait, les yeux ouverts, dans les ténèbres. Et à qui la faute ? Il sortait de sa stupeur pour hurler sa rage et se considérer avec des yeux de fureur. Il s’accablait d’invectives que ses pires ennemis n’auraient pas mieux que lui su manier. D’Alvan à Alvan, de telles injures annonçaient un de ces cataclysmes qui, dans un pays de nobles architectures, réduisent en poussière la splendeur orgueilleuse des ouvrages humains. Abattu parmi les ruines, plus bas que le troupeau humain, il proférait des injures vulgaires qui, adressées à un homme tel que lui, semblaient des hideurs monstrueuses. « Fou ! benêt ! âne bâté ! triple idiot, histrion ivre ; misérable valet qui prend pour se suicider une mine maudite de fat frisant sa moustache. Clotilde ! Clotilde ! Oh ! l’histoire de l’homme qui tenait dans la main le joyau des joyaux et qui le jeta à la mer, en croyant lancer un caillou. Cherche donc maintenant, imbécile, cherche jusqu’au jour du Jugement dernier. Il n’y a rien dans l’eau que ta face d’imbécile, pour mordre à l’appât. Lance ta ligne pour pêcher la beauté perdue et tu retireras l’ombre de ta tête d’âne. Quel est le monstre inspiré qui refusa le présent des dieux, pour pouvoir se le faire octroyer selon sa cérémonieuse étiquette ? Ils rient bien maintenant. Comme ils rient, par Orcus ! Le rire des dieux, c’est l’éclat d’une ironie meurtrière pour les mortels. Pourraient-ils souhaiter plus beau sujet de rire que celui d’un géant devenu imbécile ? »

Des larmes jaillirent de ses yeux, des larmes de rage, de regret, de mépris de soi. Oh ! se retrouver au jour précédent ! Il appelait à grands cris le retour de la veille ; il hurlait ; il grondait. Un géant en