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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

vait avoir assez d’influence pour le faire chasser de la ville, répondit par une mise au défi de le faire. Mais cette orgueilleuse réponse ne l’empêchait pas de voir plus loin que les paroles des deux envoyés, et de découvrir un accent nouveau pour lui, un accent sinistre et extraordinaire, dans leur façon d’accueillir ses prétentions à la main d’une femme de leur caste.

Sans cesse en lutte contre la société, Alvan n’avait pas encore pleinement compris l’opinion que cette société se faisait de lui, et dans les circonstances présentes, son impétueux désir de signer la paix lui avait fait négliger la question. L’attitude des deux visiteurs était un coup brutal qui l’éveillait en sursaut. Ils s’astreignaient à une politesse pointilleuse et ne mésestimaient pas des mérites faits pour commander le respect d’homme à homme. Mais sous la courtoisie de commande, leur raideur proclamait l’impossibilité d’une union entre Clotilde et un homme tel qu’Alvan, et semblait désigner le rideau qui masquait son histoire. Alvan ne pouvait le soulever pour présenter sa défense, ni sembler remarquer le mépris secret que l’on affichait pour son caractère, et malgré la rage qui lui bouillonnait dans la gorge, force lui était de ravaler l’apologie et l’insulte et de rendre politesse pour politesse, avec une bouche qui eût voulu tonner.

Une seconde tentative, sous forme d’une lettre pressante demandant une entrevue au général, eut le sort de la précédente : le messager fut congédié sans réponse.

Alvan passa une nuit d’atroce agitation. Dans ses lectures de jeunesse, il avait été frappé par le destin du noble conspirateur génois qui se glisse