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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

Alvan, à quel avenir allait-elle condamner les belles-sœurs d’un homme pareil ? Lotte devrait renoncer au mariage avec le comte Walburg ; l’infamie du nom d’Alvan ferait de leur maison un lazaret et d’elles-mêmes des réprouvées.

Elle subit ensuite l’assaut d’un frère favori, dont la sympathie déchaîna à nouveau le flot de ses larmes, et qui l’accabla d’arguments irréfutables. Comment le beau-frère d’un infâme démocrate Juif pourrait-il garder la tête haute dans son régiment ? Il serait contraint de renoncer au service ou de se battre tous les jours avec ses camarades qui, à tort ou à raison, abhorraient tous Alvan. L’alliance de cet homme leur serait fatale et compromettrait surtout la carrière militaire et diplomatique de leur père, dont la vie serait brisée.

À défaut de répliques, Clotilde trouva des larmes nouvelles, larmes de pitié maintenant pour sa famille autant que pour son amant lointain. Elle se sentait déjà séparée de lui, avec un cœur sec et vide, comme ceux que déserta toute pitié pour eux-mêmes. Impuissante désormais à s’apitoyer sur son propre compte, malgré une secrète et persistante inclination, elle éprouvait un languissant désir de bien-être matériel. Après son rude châtiment, elle souhaitait les caresses des siens. Elle avait soif de marques d’affection qu’elle savait pourtant intéressées, mais qui apportaient à sa triste expérience un parfum de la vie d’autrefois. Alvan était parti. La pauvreté d’imagination de Clotilde lui représentait ce départ comme un définitif abandon et comme le glas de leur amour. Il était parti ; il avait commis une faute irréparable ; il avait fui la lutte provoquée par sa folle présomption et qu’il