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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

— Vous m’avez volé mon enfant ! précisa-t-elle.

Clotilde, éperdue et déchaînée, redressa la tête :

— Mensonge ! Il ne m’a pas volée. C’est de mon plein gré, et pour échapper à votre dureté, mère, — penser que je vous appelle mère ! — pour fuir les malédictions et les menaces de mon père que je suis allée à lui. Oui, c’est près de lui que j’ai cherché refuge, dès que j’ai compris que je lui appartenais plus qu’à vous. Et jamais je ne vous reviendrai. Vous avez tué ma tendresse de fille ; j’appartiens à cet homme que vous insultez parce que je l’aime uniquement et à jamais, parce que je serai la compagne de sa vie, quoi qu’elle nous apporte, parce que je serai sa femme. Foulez-le aux pieds : c’est moi que vous piétinerez. Faites méchant visage à votre fille qui, entre tous les hommes, a choisi celui-là pour l’adorer et le suivre de par le monde. Je le suivrai. Je suis à lui. Je mets ma gloire en lui.

Le regard qu’elle fixait sur Alvan semblait dire : « Eh bien ! suis-je digne de vous maintenant ? Et le moment n’est-il pas venu de fuir ensemble ? »

Elle fut déçue, et rien dans les yeux d’Alvan ne répondit à son attente. Ce fut comme si sa beauté, mirée dans une glace, n’avait rencontré qu’un reflet brumeux de métal. Très calme et souriant, Alvan reportait les yeux de Clotilde à sa mère.

— Vous m’accusez, Madame, d’avoir volé votre fille. Vous allez reconnaître que vous me faites tort. Clotilde, ma Clotilde ! puis-je entièrement compter sur vous ? Y a-t-il un sacrifice qui, si je vous en prie, puisse vous paraître trop dur ? Êtes-vous prête, sur un signe de moi, à aller où je vous le dirai, à faire ce que je vous demanderai ?