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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

qui l’y poussait ; soudain consciente de la pauvreté de sa vêture, elle donna le nom d’une Mme Emerly qui demeurait près de l’hôtel. Et aussitôt, elle se sentit le cœur lourd comme une pierre.

— C’est pour vous ! s’écria Alvan, partagé entre la douleur de sa perte et la joie glorieuse de sa générosité. C’est en vue du triomphe final qu’il renonçait à elle.

— Ma femme ne peut pas être enlevée par un voleur de nuit. N’êtes-vous pas ma femme, ma fiancée aux cheveux d’or ? Vous pouvez vous parer de ce titre, comme si nos serments avaient été échangés. Pourtant je renonce à vous jusqu’à ce que nous puissions les échanger en public. Il ne sera pas dit de la femme d’Alvan, à l’heure de sa gloire, qu’elle est venue au mariage par la porte dérobée.

Cette orgueilleuse confiance dans l’avenir galvanisa Clotilde. Elle était pourtant assez calmée par son découragement pour saisir l’origine d’une telle superbe, mais elle n’admirait pas moins qu’Alvan sût, aussi bien, faire de soi le centre du monde. Elle retrouva un peu de son enthousiasme et admit qu’Alvan prenait peut-être le parti le plus sage. En tout état de cause, ils étaient unis à jamais. L’entrée de Clotilde à l’hôtel et sa présence dans la chambre constituaient bien des faits irrévocables. En attendant la voiture commandée par Alvan, elle se sentait à demi mariée. Aucune confusion ne la faisait rougir. Son courage la soutenait : les flammes ne brûlent pas qui se place au milieu de leur cercle, et cette chambre, contemplée du dehors, était bien le centre de l’incendie. Elle réprima son désir de se jeter au cou d’Alvan et de le