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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

faut que vous ayez des ennemis mortels. Je ne pouvais reconnaître mon père ni ma mère, tant la colère les défigurait. Mais vous le voyez, me voici. « Courage| » m’avez-vous dit : j’ai résolu d’être courageuse et de me montrer digne de vous. Mais je suis sûre qu’on est à ma poursuite. Mon père est puissant dans cette ville, et nous avons tout juste le temps de fuir.

Alvan prit brusquement un parti :

— Une amie ; une habitante de cette ville ; une personne à qui vous puissiez vous fier ; dites-moi son nom, vite ! Il la flattait de la main comme un maître de gymnastique redresse doucement les épaules d’une belle élève.

— Oui, vous avez fait preuve de courage. Ce que je vous demande maintenant, c’est d’obéir à mes ordres. Je ne vous veux pas fiancée fugitive, mais mariée au grand jour de l’autel. Et pour commencer, il faut sortir d’ici. Connaissez-vous une dame comme celle dont je vous parle ?

Clotilde essaya de protester et suggéra des plans. Elle était convaincue que la fuite seule pouvait prévenir des catastrophes ; elle sentait bien qu’elle avait, en venant se mettre entre les mains d’Alvan, fait appel à tout le courage dont elle était susceptible et qu’elle ne saurait plus que reculer à l’avenir. Déjà, elle ne trouvait plus paroles ni regards à opposer à la chaude et tendre volonté d’Alvan ; elle hésitait et s’avisa soudain de l’endroit où ils se trouvaient ensemble. Elle ne pouvait refuser, comma il le proposait, la protection d’une amie de son sexe ; tout à coup rougissante à l’idée de supplier un homme de l’enlever, elle frémit de toute sa féminine pudeur, malgré le désespoir féminin