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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

sait bien. Les parents de Clotilde, du moins, apprendraient que ce Juif, ce démagogue, ce champion d’une femme malheureuse était un gentilhomme qui saurait respecter leurs droits légaux et naturels, sans rien sacrifier des siens. En se faisant mieux connaître, il les contraindrait à changer de ton.

Enfermé dans sa chambre, il relisait la lettre phrase à phrase, lorsqu’après sa réponse à un coup frappé, la porte s’ouvrit. Alvan bondit sur ses pieds et l’expression de son visage suffit à rassurer la timide visiteuse. C’était Clotilde qui se tenait, hésitante, sur le seuil de la porte.

Congédié, le valet s’esquiva de toute la vitesse de ses jambes serviles, et Alvan attira la jeune fille dans la pièce.

— Alvan, je suis venue…

Elle était comme un oiseau que l’on sent, dans la main, palpiter à en mourir.

Il se pencha sur elle :

— Qu’est-il arrivé ?

Tremblante, toute pâle et la gorge serrée, elle répondit :

— Mon père…

— C’est après l’envoi de ce mot, — il désignait la lettre, — que vous leur avez parlé à tous deux ?

— Il n’y a rien à faire.

— À tous deux : à votre père et à votre mère ?

— À tous deux. Ils ne veulent pas entendre prononcer votre nom ; ils refusent de m’écouter. Je le répète : il n’y a nulle chance, nul espoir de les fléchir. C’est la haine qui les pousse, la haine pour vous et pour moi qui songe à vous. Il n’y avait pas à balancer ; j’ai suivi ma lettre ; j’ai traversé les rues en courant, et c’est faute de souffle que vous me