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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

tinctif de la lutte, toujours flatté par le succès, contribuait à l’exalter : il y avait encore des obstacles à surmonter avant de pouvoir dire sienne sa fiancée. Il accueillait pourtant sans enthousiasme l’idée du combat ; il y a, chez les plus braves des guerriers, un courage qui ne prise guère la bataille, avant que n’éclatent le crépitement de la mousquetade et le fracas des canons.

Méthodiquement, à son accoutumée, il inscrivit les heures de trains, le nom de l’hôtel indiqué par Clotilde, l’adresse de son père ; il s’assura qu’il avait des cartes de visite, vérifia son attirail d’écrivain et compulsa ses notes prises dans le Code helvétique, car l’affaire allait se dérouler en Suisse, et il comptait autant sur ses arguments de légiste que sur son éloquence. Il réfréna sagement son désir de lancer un télégramme à Clotilde, et se trouva réduit à composer des vers, qu’il jugea lui-même assez ampoulés. Un poète né eût échoué en pareille occurrence, et lui n’était pas un poète, mais un orateur amoureux. Sauvage lié par sa science de la jurisprudence, il avait pour le moment l’ambition d’entrer dans les rangs des sages heureux. Un tel désir était, certes, fait pour les flatter. Pourquoi donc douter de la fortune ? Il n’en doutait pas.

La nuit passa ; le matin vint, puis l’heure du départ. Tard dans l’après-midi, Alvan descendit devant la maison qu’il appelait l’hôtel de Clotilde. On lui remit une lettre où, d’un coup d’œil, il vit qu’il était question de lutte commencée et de désespoir d’un premier échec. « Allons, c’est à mon tour », fit-il sans grande ardeur. Les mots de Juif, de démagogue, de baronne, étaient des flèches qu’il connais-