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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

dédain des mesquines roueries. Il sait duper un adversaire, mais son adresse est celle des géants : simplicité et prestesse de manœuvres, il n’y a rien qui affole davantage les pygmées. Et c’est comme cela qu’il les attrape, à pleins sacs ! Le monde, ou je me trompe fort, verra de grandes choses : deux géants aux prises. Nous nous sommes réciproquement soumis, avec toute l’aménité désirable, des plans diamétralement opposés, des plans à faire dresser les cheveux de l’Europe ! Et nous nous sommes quittés avec un sentiment d’estime mutuelle. C’est un rude homme, comme l’était mon ami l’empereur Tibère, et comme le fut Richelieu. Napoléon était une belle machine, voilà la différence. Oui, l’Homme de Fer est un rude homme, mais nous pouvons nous affronter. Il n’a pas beaucoup d’idées ; seulement celles qu’il a, il y tient dur comme fer et saurait les faire entrer jusqu’au tréfond du globe. Il a des perceptions vives et de l’imagination : il sait imaginer un plan ennemi, en scruter et en pénétrer toutes les complications, prévoir les combinaisons de son adversaire et ses desseins probables. C’est bien. Nous nous sommes reconnus égaux sur ce point. Il tient à la royauté qui masque son vizirat et lui épargne la peine des patients discours et de la persuasion ; ces talents-là, il ne les possède pas ; ce n’est pas du fer. Nous, nous pensons qu’un métal plus précieux viendra à bout du fer quand s’élargira le conflit. Mais il ne faut pas rabaisser un tel adversaire, et je ne fais pas plus fi de lui qu’il ne le fait certainement de moi. S’il avait été doué de patience et de facilité de parole, s’il n’était pas petit hobereau, il aurait pu prendre le parti du peuple, en qui il sent la seule véritable force. Et