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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

qui ont de la femme en eux sans être efféminés : ceux-là sont l’élite des hommes. Et les plus remarquables entre les femmes sont celles qui, pour posséder un peu de force masculine, ne perdent pas une once de leur charme féminin. La baronne est de celles-là : cerveau viril, cœur de femme. Je la tenais pour unique avant d’avoir entendu parler de vous. Et voyez ma situation entre vous deux ! Son seul défaut, vous pouvez me l’imputer aussi : elle est venue avant moi, comme je suis venu avant vous. Vous gâterai-je comme elle m’a gâté ? Non, non ! S’incliner devant un jeune homme, c’est reconnaître en lui l’héritier d’un trône, et je respecte la loi salique autant que j’aime mon amour. À une jeune fille, je n’offre pas ma soumission, mais protection et appui. Vous ne me mènerez pas, mais vous me donnerez de la force, et si vous êtes cajolée, ce sera sans gâterie. Ne vous attendez pas, au surplus, à me voir l’aspect de cet arbre funèbre, avant que mes années atteignent la centaine. Et même alors, il pourra en cuire à ceux qui voudront s’asseoir sous mes branches, avec l’idée que je n’aurai plus de sève parce que ma tête sera décolorée. Nous autres Juifs avons le sang vigoureux. Nous sommes la force de la terre. Nous vous servons, mais il faut que vous pourvoyiez à nos besoins. Sensuels ? Nous avons certainement d’excellents appétits. Pourquoi pas ? Nous sommes héroïques aussi. Soldats, poètes, musiciens, maîtres du Gentil en arithmétique mentale, la plus acérée des armes, nous ne le surpassons pas moins par notre sens commun et notre aptitude à la solidarité. Oui, et à la charité aussi ; sans cela, quels trésors de vengeance n’aurions-nous pas accumulés ? Nous possédons déjà les