Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/103

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
99
LES COMÉDIENS TRAGIQUES

route du triomphe, la route qu’il devra prendre et qu’il prendra tôt ou tard, puisqu’il est sûr, tôt ou tard, de triompher. Mais ce n’est pas la route qu’on appelle Progrès. Le progrès, pouah ! c’est une tentative bourgeoise de compromis. L’avenir, c’est au peuple qu’il appartient, au peuple et à l’intelligence populaire. En attendant, mon étoile brille, et Je vois maintenant son éclat réfléchi.

— Je remarque, fit Clotilde, avec toute la ferveur que pouvait exiger le plus magnifique des amants, je remarque que vous ne baissez jamais les yeux, que vous ne regardez jamais à terre, mais toujours en haut, ou droit devant vous.

— D’autres que vous l’ont remarqué, approuva-t-il en souriant. Mais nous voici encore devant cet arbre funèbre. Tous les chemins mènent à Rome et le nôtre semble éternellement nous conduire vers lui. C’est le soul mort des alentours.

Il regardait le sombre panache de la cime et l’enflure des branches pudiquement parées de leur dépouille mortelle ; cette mousse, à l’examiner de près, semblait faite d’ébène semé de sel, dont les minuscules cristaux gris donnaient à la masse sombre un éclat livide. On eût dit d’une vieille sorcière, au milieu de la fumée de ses incantations.

— Pas un pouce épargné, fit Alvan, en arrachant une touffe du fuligineux lichen ; cet arbre est mort, mort comme un tronc abattu et dépouillé de son écorce. Beau sujet pour un poète en veine de mélancolie, n’est-ce pas Clotilde ? pour un poète qui viendrait ici, au clair de lune, méditer sur une querelle avec sa maîtresse, ou sur le mal qu’il aurait entendu dire d’elle. À ce propos, ma belle amie, laissez-moi vous supplier de ne jamais prendre en