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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

droit divin sur son trône vermoulu ? Mon trône, moi, je le devrai à mon travail, à cette intelligence consacrée aux intérêts populaires. Le peuple, naguère foulé aux pieds dans la poussière, je lui redonne confiance, comme j’ai réconforté dans ma jeunesse une femme persécutée. Je suis le soldat de la justice, dressé contre l’armée des oppresseurs. Mais j’exige ma récompense. Si je vis pour me battre, je vis aussi pour jouir. Je réclame ma place, que je n’aurai pas seulement gagnée par mes services, mais par ma clairvoyance. J’ai su voir et prévoir, lire dans la nuit, lire la page blanche, parce que je suis soldat et prophète. L’intelligence humaine, aigle et foudre de Jupiter sur cette terre, est dorénavant le seul titre à la majesté ! Ah ! ma toute belle ! quand elle entrera dans la ville à mon côté et entendra les acclamations du peuple, elle ne croira pas avoir fait un mauvais choix.

Transportée, Clotilde pressa tendrement le bras qui la soutenait.

— Nous aurons peut-être de rudes combats à livrer et d’amères déceptions à subir avant ce jour-là, reprit-il. L’heure approche, mais il faut l’attendre encore, sans cesser de travailler. Je sais le secret de conduire la foule, d’organiser sa puissance et de la rendre aussi irrésistible que je la crois en définitive bienfaisante. Je la dirigerai selon les lois naturelles. Je ne suis pas un théoricien en chambre, un songe-creux ou un visionnaire : je suis l’homme de science politique. Le jour où le peuple comprendra mon système, il n’aura qu’un pas à faire pour le mettre à exécution. Un seul pas ; un pas qui se fera de mon vivant ou peu après ma mort. Moi, je suis là pour indiquer au peuple la