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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

rente, ingénue et retenue, soumise et exquise, puérile et docile, proposa Clotilde ; je vous la donnerai à lire, et si vous en approuvez les termes, nous l’expédierons à la baronne.

— Ah ! je reconnais bien la sagesse de mon serpent à crête d’or, riposta Alvan. Et maintenant, occupons-nous de ma visite à vos parents. Dès demain je vous suivrai. En avant contre les canons. Une pointe jusqu’au Léman nous amènera chez eux dans l’après-midi. Je vous verrai le soir. Ainsi notre séparation ne sera pas longue, cette fois. Tous les auspices sont favorables. Nous ne serons pas riches, mais pas pauvres non plus.

Clotilde fit observer qu’elle ne serait pas sans apporter un certain appoint à la communauté.

— Ne comptons pas là dessus, protesta-t-il. Nous ne serons certainement pas riches, car vous n’attendrez pas que je gagne de l’argent avec ma plume. Écrire pour de l’argent, c’est la chose qui me répugne le plus au monde. Composer vers ou romans pour un public stupide qui juge selon son propre goût les mérites de votre œuvre, pouah ! Quant au journalisme appointé, c’est une servitude d’Égypte. Pas d’esclavage comparable à celui qui enchaîne le journaliste payé. Ma plume, c’est ma fontaine, la clef de mon être, et je me donne, je ne me vends pas. J’écris quand j’ai quelque chose à dire et dans le sens qui me convient ; sinon, pas un mot !

— Jamais je ne vous demanderai de vous vendre, se récria Clotilde, j’aimerais mieux manquer du strict nécessaire.

Il lui serra le poignet. Ils étaient revenus devant l’arbre séché au triste manteau noir. C’était, parmi l’armée de ses semblables, le seul sapin vêtu de cette