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CHAPITRE VI

de ne pouvoir les lui présenter moi-même, le temps me presse… Un seul !

Il prit un baiser. Un seul — nombre mystique en amour — d’où généralement jaillit la multitude. Mais en cette occasion ce fut un seul, assez froid. Elle le suivit du regard comme il s’en allait, monté sur son vaillant cheval, le plus beau cavalier du monde, et le contraste entre le langage qu’il venait de tenir et sa fine figure, était pour elle une énigme qui figea son sang. Discours si étrange à ses oreilles, peu naturel, point viril, surtout, même dans la bouche d’un amant, à qui le doux langage est permis. Elle cherchait en vain à en découvrir le but. Elle était heureuse de ne point sentir, braqués sur elle, des yeux comme les yeux de Mr Vernon Whitford.

Quant à Sir Willoughby, sa mère, sans vouloir en rien peser ni sur ses sentiments, ni sur ses décisions, lui avait parlé de Miss Middieton, comme d’une personne encline à une certaine légèreté de sentiments, ce qui immédiatement le frappa comme une coïncidence avec la « friponne en porcelaine » de Mrs Mountstuart et la même remarque faite par deux femmes du monde ayant de la race, ne laissa pas de l’alarmer. Il ne lui incombait pas de négliger cette légèreté, ceci pour rendre effective l’assurance de l’âme de sa fiancée, afin qu’il tînt sa politique en règle. Il en avait le désir, sa mère ayant plutôt mis en branle une cloche d’alarme, qu’il avait déjà fait tinter. Clara n’était pas une Constance. Mais elle était femme, et des femmes