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L’ÉGOÏSTE

ils avaient haute mine. En se promenant avec elle, en s’inclinant vers elle, se rendant compte par l’exquise dissemblance, l’homme voyait son dédoublement de mâle en femelle. Elle le complétait, ajoutait les lignes adoucies qui manquaient à son portrait pour que le monde pût l’admirer. Il lui avait fait une furieuse cour, et il la courtisait avec convenance, en virile possession de lui-même, enjolivé par les soins et le tact qui plaisent aux femmes. Jamais il ne semblait se dépriser en l’exaltant, ce qui est un secret inestimable quand on courtise des jeunes filles qui ont du discernement ; l’amant double la conscience qu’elles ont de leur valeur en ne diminuant pas la sienne. Ce furent des jours de bonheur et de fierté, quand, monté sur Black Norman, il chevauchait vers Upton Park, et que sa lady aux aguets connaissait son approche par les battements plus précipités de son cœur.

Son intelligence, à elle, également, était accueillante. Elle connut ses goûts et lui fit fête. Elle fixait dans sa mémoire ses phrases heureuses, observa ses manières, ses préférences, comme aucune femme n’eût pu le faire. Il témoigna à Vernon sa reconnaissance pour avoir dit qu’elle avait de l’esprit. Elle en avait, d’une saveur si exquise, que plus il pensait à l’épigramme lancée sur elle et plus il en était mécontent. Avec de l’esprit pour le comprendre et un cœur pour l’adorer, elle était en possession d’une dignité rare chez les jeunes ladies.