Page:Meredith - L’Égoïste, 1904.djvu/71

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
58
L’ÉGOÏSTE

Volontiers il aurait déféré à ses vœux, alangui et résigné, si sa mère n’avait exprimé le désir de voir avant sa mort la future lady Patterne, prendre en mains la direction du château. L’amour, malicieusement, apparaissait sous le masque de l’amour filial, mais l’argument de l’urgence semblait raisonnable. Ainsi jugea le docteur Middleton, croyant sa fille éprise. Elle n’éprouvait aucune aversion, mais elle avait un désir virginal de voir un peu le monde — Grâce ! pour un an ! implorait-elle. Willoughby réduisit cette année à six mois, et en gratitude elle consentit à rester fiancée, ce qui ne fut pas un vain murmure. Elle fut invitée à se déclarer captive par la prononciation de vœux — cérémonie privée, mais effective. Elle avait de la beauté et de la santé et des richesses pour dorer ces dons ; non pas qu’il jugeât indispensable que sa fiancée eût de l’argent, mais cela aide par son lustre à éblouir le monde ; et surtout la meute des rivaux tendant leurs gosiers endoloris pour aboyer à la lune. Il fallait qu’elle fût captive.

Il fit les fiançailles sans qu’il y eût de quoi murmurer. Ce fut le solennel engagement d’une fidélité. Pourquoi pas ? Après lui avoir dit : Je suis vôtre, ne pouvait-elle ajouter : Je suis tout à fait vôtre, et : À vous pour toujours ; je le jure, jamais je ne m’en départirai, je suis votre femme de cœur ; votre tout ; voyez l’engagement écrit ci-dessus. » Mais très avisée elle y ajoutait : « En ce qui me concerne » générosité frigorifique ; mais lui, à son tour, l’obligeait à lui