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CHAPITRE IV

un esprit net d’un cœur brûlé. Elle allait souvent au château, y servant de garde-malade à lady Patterne. Jusqu’alors Sir Willoughby l’avait traitée en chère et insignifiante amie à qui il était inutile de parler du but de ses visites à Upton Park.

Cependant dans la contemplation de ce qu’il allait gagner, il avait ressenti de l’angoisse de ce qu’il allait perdre. Elle faisait partie de sa brillante jeunesse ; sa dévotion l’avait encensé ; il était de ces hommes qui vivent le passé d’une vie aussi intense que le présent ; et malgré le zèle louable de Lætitia soignant sa mère, il soupçonna quelque infidélité ; non sans cause ; elle ne pâlissait plus davantage, et ses yeux le regardaient sans reproche ; le secret des jours passés ne semblait pas plus caché qu’il ne fût découvert. Elle avait pu l’enterrer, selon la manière des femmes, dont les cœurs peuvent être des tombes, si les hommes et le monde le leur permettent ; de vrais sépulcres où le mort gît fantômal. Même, chose horrible, sans être mort, on peut y être étendu froid, quelque part dans un coin. Même embaumé, il se peut que l’on n’obtienne guère de visites. D’ailleurs comment le monde peut-il savoir que l’on est embaumé ? L’on n’est pas mieux qu’un misérable en pourriture, car le regard du monde n’a point accès dans le cœur des femmes, il n’y peut voir brûler les lumières et l’apparat du service d’adoration. Il y a des femmes — que l’on ne vienne pas parler de celle d’Éphèse — qui vous embaument, quittent le monde pour garder