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CHAPITRE IV

Lætitia en doute sur sa véracité. Mais il continuait son récit, disait qu’en route un gentleman l’avait pris dans son tilbury et qu’ils étaient allés à une ferme où il avait vu des chapelets d’œufs de toute espèce, et des oiseaux empaillés de toutes les variétés anglaises, des martins-pêcheurs, des piverts noirs, des engoulevents, des hiboux tette-chèvres, dont la bouche était plus grande que la tête, avec des ailes poussiéreuses comme celles des mites et couvertes de taches, tout parfaitement détaillé. Cependant, malgré le thé qu’il avait pris à la ferme, et le retour en chemin de fer aux dépens du gentleman, le conte semblait à Lætitia une pure fiction, jusqu’à ce que Crossjay ait raconté qu’en route pour la gare, il s’était arrêté, avait ôté sa casquette pour saluer Sir Willoughby, et que Sir Willoughby avait passé sans le voir, mais que la jeune lady s’était retournée et avait répondu par une légère inclinaison. Le trait de la vérité jaillissait de cette peinture.

Quelle étrange éclipse, quand le trait de la vérité vient obscurcir notre brillante étoile. La vérité est coupable ! C’est que la réalité est offensante ; par la désillusion elle nous ravit notre trésor. Alors commence la désillusion volontaire, et par suite le dégoût de la réalité ; ce qui épuise bien plus le cœur, que la patiente endurance de l’inanition.

Des bruits sourdaient dans le voisinage ; le long des chemins les haies chuchotaient, les cimes des arbres croassaient. Mrs Mountstuart Jenkinson parlait haut :