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L’ÉGOÏSTE

voiture, et que Sir Willoughby fût remarqué chevauchant à ses côtés.

Un plaisir réel et lumineux réjouit Lætitia, quand le jeune Crossjay Patterne vint demeurer sous son toit. C’était le fils du lieutenant — à présent capitaine — de l’infanterie de marine, un garçon de douze ans, avec, en lui, l’entrain de douze garçons. Vernon s’était arrangé avec le père de Lætitia pour lui fournir le logement et la nourriture. Vernon était un de ces hommes qui ne savent quel emploi faire de leur argent, n’ayant pas de billets à payer pour l’entretien de leurs domaines et ne sachant comment dépenser. Il avait entendu parler des charges qu’imposait au capitaine Patterne sa nombreuse famille et il avait proposé de prendre l’aîné au château pour l’instruire. Mais Willoughby ne voulait pas recueillir sous son toit le fils d’un tel père, prédisant que le garçon devait avoir les cheveux roux, la peau couverte de boutons et des manières détestables. Vernon ayant pris des arrangements avec Mr Dale, s’en allait à Devonport et ramenait un espiègle rose et joufflu, qui tomba sur les viandes et les puddings, en vint aisément à bout, confessant avec ingénuité que jamais il n’avait eu assez à manger. Il avait subi tout un entraînement pour l’assaut d’une bonne table. Après nombre de bouchées, il soupirait en louchant du côté du plat. Puis il avoua à son hôte et à son hôtesse qu’il avait deux sœurs, ses aînées, et trois frères et deux sœurs plus jeunes que lui : « Ils ont tous faim ! » disait-il.