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L’ÉGOÏSTE

ouest du comté ; c’était un gentleman pompeux, l’idéal d’un beau-père pour Willoughby. Tandis que le père de Miss Dale, locataire de l’un de ces cottages bâtis sur la lisière de Patterne Park et qui appartiennent à Willoughby, n’était qu’un chétif médecin militaire, sa fille était poétesse, mais sans espoir de patrimoine. Son ode pour célébrer l’anniversaire du jeune baronnet fut jugée de tentative habile, très hardie comme sont les hardiesses des timides. Elle ouvrit le sac aux vers et lâcha son chat en pleine multitude, elle s’offrait dans ses rimes à son héros. Elle était jolie ; ses cils sombres et longs, ses yeux d’un bleu profond, et son âme était prête à en jaillir comme une fusée sous le regard allumeur de Willoughby. Et il la regardait, il la regardait avec insistance, quoique cette nuit-là, il n’eût pas dansé une seule fois avec elle, et qu’il eût dansé souvent avec Miss Durham. Il gratifia Vernon Whitford de Lætitia pour le cotillon final, avec une secrète pitié d’apparier une valseuse aussi élégante à un tel cavalier. Le « Phœbus Apollon tourné à l’ascète » était brouillé avec la mesure. Il se contrariait, contrariait sa danseuse effarée, et contrariait tout le monde, dans son obstruction, et extorquait de son cousin Willoughby des éclats d’un rire cordial. À quatre heures du matin, il est indispensable aux danseurs de rire de quelqu’un, ne fût-ce que pour rafraîchir leurs pieds ; lorsqu’on sait l’heure, le rire est fou. Vernon, semblable à Thésée dans le labyrinthe, dépendait de