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CHAPITRE X

valet qui résignait sa place. Le projet de Vernon de quitter le château, apeurait et alarmait le sensible gentleman. « Il faudra que je lui donne Letty Dale » se disait-il, accédant en amère générosité aux conditions que lui imposait le manque de générosité d’un autre. Car depuis ses fiançailles avec Miss Middileton, sa prévoyance électrique avait vu en Miss Dale, la gouvernante de ses bébés, si, non mariée, elle restait dans son voisinage. Ce projet s’évanouissait. Ils pouvaient se marier et vivre dans un cottage, sur l’orée du parc, Vernon garder son poste ; Lætitia continuait son dévouement. Le risque d’abandon devait être prévu. Le mariage, c’est reconnu, a un tel effet sur les plus constantes des femmes, qu’une grande passion tourne à zéro dans leur cœur fugace, quand elles ont pris mari. Particulièrement chez la femme la matière triomphe de l’esprit. Toutefois il fallait courir le risque.

N’ayant aucune envie de discuter avec Vernon, qui avait l’habitude de garder le dernier mot en s’en allant brusquement aussitôt qu’il avait émis son opinion, il laissa les deux personnes qui s’intéressaient au jeune Crossjay, s’imaginer qu’il méditait sur la question et qu’il était sage de le laisser à ses méditations ; car il rabrouait aigrement ceux qui traversaient le courant de ses pensées. Cependant, il instruisit les ladies Éléonore et Isabelle pour que Lætitia Dale vînt en visite au château, bientôt l’on allait donner des dîners, ce qui nécessitait la présence d’une personne