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L’ÉGOÏSTE

froid ? Elle ne se le demanda même pas. Elle ne se souvenait que de l’agitation de son esprit à l’ouvrage, objectant à ceci, à cela, avide de changements. Elle ne rêvait pas d’être hissée au pinacle vertigineux du sentiment passif ou négatif de l’amour, d’où un seul faux pas précipite dans la répulsion.

À la rencontre, leurs yeux s’animèrent. Elle prit plaisir à le voir sur le perron, avec le jeune Crossjay à son bras. Sir Willoughby, sur le ton le plus plaisant, lui raconta le trait du gamin qui, s’étant réfugié, ce matin, dans le laboratoire pour échapper à son précepteur, y avait cassé les vitres. Elle réprimanda le délinquant sur le même ton, pendant que Willoughby la conduisait, à son bras, vers le seuil et murmura : « Bon pour une fois ! » Elle réclama des détails sur l’escapade du jeune Crossjay. « Venez dans le laboratoire », dit-il, la voix plutôt douce que railleuse, et Clara pria son père de venir voir les récents méfaits du jeune Crossjay, Sir Willoughby se plaignit de la longueur de leur séparation et parla de sa joie à lui souhaiter la bienvenue en cette demeure où bientôt elle allait régner en maîtresse. Il énuméra les semaines. Et il murmurait : « Venez ». Dans la hâte du moment, elle omit de noter un éclair de terreur qui la traversait. Déjà ce n’était plus que cette ombre qui courbe les gazons d’été, mettant le désordre dans sa pensée. Et elle s’émerveilla d’avoir pu craindre. Quoi ? Son père était avec elle. Elle et Willoughby n’étaient pas encore seuls.