Page:Mercure de France - Mars 1908, Tome 72.djvu/162

Cette page a été validée par deux contributeurs.

suivit, Romances sans paroles et Novelettes y compris. Son Divertissement à la Hongroise, op. 54, est l’ancêtre de toutes « Rapsodies ». Sa Fantaisie, op. 108, en fa mineur, se divulgue sans précédent de cette envergure et le prototype d’un genre illustré par Schumann et Chopin. Sans doute, il ne renonça pas aux formes traditionnelles, et parfois son génie s’y englue ou musarde en des « variations » fastidieuses, mais bien souvent aussi il les rénove en s’en servant comme simple truchement de son inspiration romantique, et au point quelquefois d’en effrayer ses éditeurs. C’est l’un d’eux, Haslinger, qui n’osa pas, en 1826, garder le titre de Sonate en sol majeur, inscrit sur le manuscrit de Schubert, à ce qu’il publia comme un recueil de pièces intitulées Fantaisie, Andante, Menuetto, Allegretto, op. 78.

Enfin Schubert introduisit le premier dans la « forme-sonate » le principe oublié de l’unité thématique. Après sa Fantaisie, op. 15, de 1820, il y revint avec une précision définitive dans son Quatuor en mi bémol, op. 125 (1824), et sa Fantaisie, op. 103, en fa mineur, parue en 1829, montre qu’il y pensa jusqu’en ses derniers jours. Schubert avait ainsi créé avant quiconque ce que nous nommons aujourd’hui la forme cyclique, et qui, en sorte de pendant au symbolisme du leitmotiv wagnérien, est devenue, à travers Liszt et Franck, le paradigme de notre symphonie moderne sous ses aspects les plus divers. C’est d’abord avec Weber et Schubert qu’on entend décidément des accords de neuvième « à la Wagner », parfois en tant que « de dominante sur tonique ». C’est chez le seul Schubert qu’on voit poindre la personnalité de l’accord de quinte augmentée, dégagée bien plus tard par Liszt y révélant un moyen de modulation neuve, et d’où dériva depuis l’actuelle « gamme par tons » debussyste. L’emploi que fait Schubert de cet accord, — dès 1817, — dans Gruppe aus demi Tartarus, est un coup de génie, apparaît sans exemple et longtemps sans imitateurs. Mais la caractéristique la plus frappante et la plus novatrice de Schubert est l’audacieuse liberté de sa modulation, où l’enharmonie est si fréquente qu’il semble que ses ressources surgissent ici subitement dans l’évolution sonore. Il en résulte, en son inspiration, le mélange d’un diatonisme essentiellement harmonique et d’un chromatisme fluide par quoi déjà il s’apparente à César Franck bien mieux peut-être qu’à tout autre, et dont est dénoncée la filiation par l’intermédiaire subséquent de Liszt. Si Liszt enfin, à des égards multiples, procède de Schubert avec une évidence aveuglante et presque à la manière d’un héritier présomptif, il n’est pas le seul annoncé par la voix de ce précurseur. Autant que dans les Polonaises, dans les Deutsche Taenze und Ecossaisen, op. 33, les Valses, op. 50 et 77, et surtout dans les 12 Landler, op. 171, il est telles phrases, telles pages entières qu’on pourrait croire