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MUSIQUE

Concerts Lamoureux : la Symphonie en do de Fr. Schubert.


Il n’est rien de tel que l’absence pour vous faire apprécier quelqu’un. Stendhal la prescrivait en amour ; elle n’est pas moins utile ailleurs. Celle, involontaire et si longue, de M. Chevillard fait d’autant mieux valoir ses mérites qu’elle escamote, en même temps que lui, ses défauts. Parmi ceux-ci, on peut noter quelque sécheresse, parfois quelque lourdeur accusée par un excès de fignolage, et relever certaine impéritie d’entendement peut-être à l’égard de la toute « nouvelle école ». Mais jamais certes la qualité exceptionnelle, souventefois la perfection de ce qu’il nous avait accoutumé d’écouter, n’apparut aussi évidente que depuis qu’il n’est plus là. Privé de lui, l’orchestre Lamoureux ressemble à un esquif sans pilote, flottant au petit bonheur des marées, ballotté au caprice de houles éventuelles et ne retrouvant guère son équilibre qu’au hasard de tangages et de roulis contradictoires. On aperçoit quel danger peut s’ensuivre, pour un remarquable ensemble même, à changer constamment de chef. Ce caméléonisme spécial n’a malheureusement pas entraîné un adéquat imprévu des programmes, et s’attesta plutôt au détriment des « quatre heures de musique française inédite » imposées. Une grippe malencontreuse m’empêcha d’assister à la séance où un kapellmeister étranger, dont le nom m’échappe, fit ouïr, avec les Variations de M. Max Reger, la Symphonie en Do majeur de Schubert. Il paraît qu’il ne la dirigea pas très bien, en dépit d’une pantomime aussi mouvementée qu’énergique, mais du moins le doit-on louer sans réserves pour avoir choisi ce prétexte à sa bastonnade. On nous joue trop peu de Schubert, aux grands concerts comme aux petits. En dehors de sa Symphonie inachevée, nous entendons de lui tout au plus quelques lieder et deux ou trois courtes pièces de piano, toujours les mêmes, risqués par des Allemands de passage. Schubert n’est pas à la mode chez nous ; nul génie n’y est plus méconnu que le sien. Sans doute, nous avons peut-être une excuse pour l’accueillir discrètement au concert, à savoir cette « longueur céleste » que Schumann, tout en l’adorant, ne devait pas moins constater. Mais nous la supportons chez d’autres — ne fût-ce que dans les Béatitudes, — et cette sérénité quasiment « angélique » n’est point l’unique affinité reconnaissable entre Schubert et César Franck. La destinée de Schubert fut ingrate à tous les égards. Né le 31 janvier 1797, il n’avait pas accompli sa trente-deuxième année quand il mourut, en novembre 1828. Schumann put dire à son propos que, « si la fécondité est un signe du génie, Schubert compte parmi les plus grands », car, au cours d’une existence aussi brève, il produisit plus de 700 ouvrages dont environ 500 lieder, plusieurs messes, opéras ou mélodrames. Cependant