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cru, je ne sais pas pourquoi… Une seule fois j’ai vu tes yeux et ton visage noir, à travers lequel quelque chose glisse, quelque chose plus léger qu’un éclat d’or.

Qu’elles m’ont plu les couleurs qui y avaient surgi alors du fond de ton cœur ainsi que l’aurore matinale surgit du soleil qui se cache encore derrière les bords de la terre ! Combien elles m’ont plu tes narines lorsqu’elles se mirent à lancer un souffle ardent ! Qu’il m’a plu le teint de ton cou nu et brûlé, ayant la couleur des roses noires que le marchand grec apporte tous les jours de l’autre rive du Nil sous mes fenêtres, en remuant les ondes calmes de ses rames de sapin, quand les pélicans somnolents se réveillent au bord de l’eau !

Je t’ai vu une seule fois et depuis je ne puis plus dormir à côté de ma mère dans mon lit étroit de vierge. Tel un dieu fort et vengeur, tu as arraché quelque chose de moi d’un regard de tes yeux noirs.

Le bec recourbé du vautour ne déchire pas aussi avidement le poussin d’une tourterelle que l’éclat de tes yeux qui attaque en plein jour et dans la nuit sombre et sans étoiles…

Jean fit un pas en avant et étendit la main. Il voulut frapper le démon en pleine poitrine d’un cri dur comme une pierre, mais un murmure doux, comme un faible papillon, s’envola seulement de ses lèvres :

— Éloigne-toi…

De nouveau la voix se fit entendre :

— Enfant innocent !… Homme saint qui habites le désert et qui n’as jamais vu un seul crime humain !

Des soupirs craintifs coulaient dans mes veines et des lacs d’épouvante étreignaient mon cœur… Je tremblais en mes hésitations, privées de sommeil, car j’adore tout en toi, même ta sainte virginité. Dans la douceur d’extase, je brûlais de soupirs et j’étais tout entière telle une flamme insaisissable qui éternellement se rallume. Je passais comme elle. Mon cœur opprimé de désirs mystérieux me forçait de verser des larmes incessantes pour une cause inconnue, et aucune joie ne pouvait les sécher. Je me nourrissais de larmes vives coulant intarissables comme les eaux d’une source…

— Ô roi, qui montes lentement du noir lointain ; ô trône éternel, soleil, qui aimes les puissants et les invincibles, quand est-ce que le jour luira, quand le pouvoir de la nuit finira-t-il !…