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à l’aide de cordes, sur des roues grinçantes, pour en bâtir des temples et des pyramides. On y trouvait encore ouvertes des cavernes profondes, où Israël avait sangloté sous le fouet en sculptant le porphyre et, dans une langue inconnue, avait maudit Misraïm, terre égyptienne, maison d’esclavage. Tout autour, les collines rousses et les pentes abruptes et rocheuses se dressaient et, plus loin, les tumulus errants et les sables qui s’envolent aux ailes des vents à travers l’espace. Partout où l’œil pouvait atteindre, un désert vide et nu s’étendait, mer de sables calme et immobile, luisante de sel sous les rayons du soleil. Dans cet endroit Dioclès trouva des palmiers, un gazon et des fleurs, une source d’eau pure et une caverne sèche. Il y mit par terre un coussin fait de roseaux et étendit sur lui son enfant.

Lorsque, depuis ce temps, un quart de siècle se fut écoulé, les épaules du vieillard se voûtèrent, sa barbe longue atteignit la ceinture, ses mains se desséchèrent, l’ouïe et la vision s’affaiblirent. D’un œil éteint, Dioclès regardait son fils qui le dépassait d’une tête. Les yeux du jeune homme étaient noirs et profonds, comme ceux de sa mère, et ses cheveux longs et ébouriffés étaient ainsi que le rêve qui la rappelait. Le jeune ermite, pendant toute son existence, ne vit aucun homme, sauf son père. Ils vivaient à deux parmi les rochers comme les chacals. Parfois, quand ils avaient mouillé beaucoup de feuilles de palme dans le ruisseau et tressé un grand nombre de paniers, Dioclès prenait la marchandise sur ses épaules et s’en allait, sans rien dire à son fils, dans le désert. Quand il rentrait, il apportait des vivres et des écritures saintes.

Un jour, s’étant levé de bonne heure, Jean dit à son père :

— J’ai eu un songe étrange et beau, comme si pendant cette nuit j’avais été au ciel. Oh, fermer les yeux et revoir encore les mêmes visions !… Quand je les sens s’éloigner au fond de mon regard et quand je ne peux pas les retenir, un cri s’arrache de mon cœur.

Vers mon lit s’approchaient et s’arrêtaient près de moi des êtres étranges qui ne ressemblaient ni à moi, ni à toi, quoi qu’ils eussent nos corps humains. Je ne les ai jamais vus au désert.

Leurs cheveux étaient longs… L’une avait des cheveux jau-