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bain et les langes de lin. Dioclès donnait lui-même à manger à son fils, il lui changeait ses langes, le baignait et le berçait, quand il pleurait.

Quand l’enfant ouvrait ses yeux lourds de sommeil et suivait d’un regard éteint les éclats du soleil qui doraient les murs, couché sur le tapis il posait sa tête près de lui en versant dans ce petit corps sa volonté, ses pensées et ses rêves. Il pressait ses lèvres au petit poing frêle et fermé comme une feuille de charme qui sort du bouton dans les jours printaniers, en l’implorant :

— Ô mon fils, mon fils…

Je ne veux pas que tu sois le maître que ses sujets saluent en courbant le dos. Je ne veux pas que tu sois le maître qui peut, s’il veut, faire jaillir les larmes ou bien faire don d’un sourire de bonheur à la foule languissante. Je ne veux pas que tu sois le chef dont la puissance brise les montagnes et les change en terre fertile. Je ne veux pas que tu sois le roi dont le bras s’étend au-dessus du pays où le Khamsun vole, au-dessus de toutes les ondes du Nil et de son delta qui fleurit éternellement. Je ne veux pas que tu sois le roi qui peut élever ou détruire Diospolis, Luxor et Carnac, et qui se couche pour le sommeil éternel seul dans le fond d’une pyramide.

Ô mon fils, mon fils…

Je ne veux pas que tu acquières la sagesse, mère du pouvoir invisible sur les hommes. Je ne veux pas que tu sois le créateur puissant dont le nom serait répété avec admiration et étonnement par les peuples lointains et étrangers.

Ô mon fils, mon fils…

Je désire que mes émotions pénètrent dans ton cœur comme une étincelle de feu. Je désire que mes peines ne blessent jamais ton cœur et que tu n’en connaisses pas d’autres. Je désire que mon cœur, étouffé par les mains du malheur, pousse en ton âme comme une action.

Ô mon fils !

Sois le pur qui dans ses bras emporte des ténèbres la lumière du soleil. Sois le courageux qui préfère plutôt mourir que ne pas tenir la parole donnée à son âme. Acquiers le sourire de bonheur qui ne quitte jamais les lèvres, qui ne les quitte pas même sur la croix, lorsque les clous du bourreau attachent les bras au bois.