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l’esprit de la vie, la force née d’elle-même, Éon, qui tendit sa dextre à celui qui souffrait sous le joug.

Et voici que l’esprit de la vie, soutenu par d’autres puissances, vainquit enfin le prince des ténèbres. Il créa du corps du vaincu le ciel nocturne et, des éclats de la lumière qui avaient été en lui, les étoiles qui luisent dans l’obscurité.

Dioclès crut que son esprit, après l’épuration complète, monterait comme une lueur pure vers la lune, s’envolerait vers le soleil et entrerait au royaume de la lumière éternelle. Avec lui s’épureraient de la matière les hommes et le monde entier, depuis la brindille d’herbe frémissante au bord de l’eau jusqu’à l’étoile qui luit au fond du ciel, jusqu’à ce que la lumière ne se sépare des ténèbres. Et lorsque la matière aurait perdu son éclat, elle se changerait en une masse inerte et serait dévorée par le feu. Toute âme qui de bon gré se serait faite esclave des ténèbres porterait la peine méritée et, au moment de la séparation définitive des royaumes, serait rivée à la masse morte pour la garder. Une telle âme ferait un avec ce qu’elle aurait aimé dans sa vie.

Ainsi enseignait Manès.

Quand le soleil, où Dieu habite en éternité, le soleil dont la nature est celle de Dieu, se dirigeait vers l’Occident et plongeait dans les sables rouges du désert lybien, Dioclès sentait en son âme l’ennui plus vaste et plus illimité que le désert. Lorsque le crépuscule tombait sur les défilés fleuris de l’Égypte, il tournait ses yeux et ses lèvres, qui murmuraient, vers la lueur nocturne de la lune qui, semblable à un lieutenant diligent et soucieux d’un roi lointain, faisait sa tournée majestueuse dans le royaume des cieux.

C’est ainsi qu’il passait souvent ses nuits d’insomnie.

Et quand elles se dissipaient et lorsque l’aurore commençait à lutter avec les ombres, il prenait avec lui une petite suite de domestiques, et sortait monté sur un mulet.

Alors il longeait sans s’arrêter l’oasis de Jupiter-Ammon. Ses ruisseaux bruissants, ses lacs transparents et l’ombre des figuiers et des grenadiers mouillée de rosée ne l’attiraient pas. Il s’enfonçait dans les vallées sauvages et marchait à travers les plateaux nus, déserts et inutiles, parsemés de grès tranchants. Et là-bas, dans cette terre où chaque brindille