mant que les jours de bonheur ne reviendraient plus, comme ne revient jamais au même point de l’espace la neige tombée des nues, il leva son bras lourd pour fermer brusquement la porte de cuivre. Perdre pour toujours la vie déjà délaissée, vaste domaine des regrets. Cesser d’éprouver le besoin des plaisirs dont le nombre est avare et se répète toujours, cesser d’éprouver la nécessité des fantaisies toujours changeantes et toujours les mêmes, des associations d’idées fraîches comme les roses à peine cueillies, et derrière lesquelles le bâillement inévitable traîne au loin.
Jeter par terre et écraser du pied la dernière fleur, et introduire l’âme, cette esclave des sens, dans le cercle où un autre temps passe, le temps qui n’attend jamais, qui se presse éternellement à devancer l’écume sauvage des flots, le vol du vent et l’éclair enflammé. Et là, tourner son âme contre elle-même pour qu’elle se ronge et se détruise. Qu’elle se mette en querelle avec elle-même et avec tous les mots d’ordre de la vie. Assembler autour d’elle ses uniques alliés, uniques amis et frères connus : ses propres forces. Mettre dans une laisse de cuir indéchirable les passions, comme des chiens et des chiennes. Et retenir leur bande misérable et aboyante dans sa main serrée.
Et lorsqu’il rêvait ainsi, la sagesse sévère du mage s’arrêta devant lui, la sagesse qu’il avait connue jadis et qu’il repoussa depuis longtemps pour les plaisirs de la vie. Et il voyait de nouveau la pensée puissante de Manès qui s’était allumée dans les espaces libres d’Iran aux clairs foyers du bon père Ahura-mazde, la pensée qui adorait l’Agneau divin et s’envolait vers le disque flamboyant du soleil, éternellement languissante. Alors ses propres sentiments coulèrent dans les amphores du maître qui s’appelait Paraclète. Il se mit à rêver du mystère, de l’esprit humain insondable et secret, du feu du ciel qui s’allume au-dessus des cavernes.
Et il voyait, ainsi qu’en songe, le travail, les luttes et la misère du premier homme, Adam, qui était venu pour que l’affranchissement de la lumière se fît en lui. Son esprit devait conquérir la science complète de lui-même et le développement de toute la nature humaine. Mais le maître des ténèbres, celui qui descend de l’ennemi éternel de la lumière, d’Angramaine, le mauvais esprit au front blessé des flèches des foudres divi-