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ARYMAN SE VENGE



En s’approchant du sommet de la colline de la vie, il tournait encore son regard vers la contrée qu’il avait traversée. Ses pieds fatigués portaient avec peine le poids de son âge misérable et lourd comme un bloc de plomb, vers le pays inconnu qui devait se montrer au loin. Le souci obstiné s’est appuyé sur ses épaules de ses coudes pointus et a voûté son dos. Les sangles de la vie se lâchèrent dans la lumière, et alors fut visible chaque trace bleue qu’elles avaient brûlée profondément et fortement. Et le cœur, mille fois assouvi, ne désirait plus.

Loin, dans les plaines, est restée l’époque où l’âme savourait tout, comme elle le voulait. Le signe de la main qui fait s’écarter et s’enfuir la foule, comme si la lueur des pointes des javelots baissés et des glaives nus la frappait, le signe de la main qui fait ramper à nos pieds l’homme inconnu, comme si la corde du sbire l’y traînait, l’ennuya et le dégoûta.

Et dans toutes les choses qu’on acquiert par la possession, il ne trouvait que du souci.

Oh, si l’on pouvait revenir par le même chemin, oh, si l’on pouvait marcher en arrière et voir encore une fois ce que l’on a déjà vu, — revenir vers les vallées lointaines fondues dans les brumes des regrets ! Revenir vers les visions du cœur, revoir le monde irréel qui se reflète dans les yeux d’enfant… Écouter en silence le soupir mystérieux, connu seulement de lui-même, le soupir conçu sous le cœur plein de trahisons et de ruses, le soupir qui préside au cortège des pensées nouveau-nées qui le suivent au pays de la sagesse…

Oh, si l’on pouvait se fier encore une fois à cette émotion !

Là-bas, dans les vallées, le bonheur est resté qui n’a pas duré plus que le temps d’une aurore, et s’est fané semblable à une fleur printanière dans un champ, lorsque le soleil brûlant monte haut dans le ciel…

Et quand, tels les coups du glas funèbre qui rompent le silence matinal, la dure conscience brisait le soupir, en affir-