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Après mon bref séjour en Occident, je ne me suis pas orienté suffisamment pour contrôler mon jugement. Mais la question est posée, me semble-t-il, comme il faut la poser. Il me paraît certain que le bolchévisme, que les socialistes russes considèrent comme leur œuvre propre, est l’œuvre des forces hostiles à toutes les idées de progrès et d’organisation sociale. Le bolchévisme a commencé par la destruction, et est incapable d’aucune autre chose que la destruction. Si Lénine et ceux de ses camarades dont la conscience et le désintéressement sont hors de tout soupçon étaient assez clairvoyants pour comprendre qu’ils sont devenus eux-mêmes un jouet entre les mains de l’histoire, qui réalise avec leurs bras à eux des plans directement contraires, non seulement au socialisme et au communisme, mais à toute possibilité pour plusieurs dizaines d’années d’améliorer d’une façon quelconque la situation des classes opprimées, ils maudiraient le jour où le destin railleur leur a remis le pouvoir de gouverner la Russie. Et, bien entendu, ils comprendraient aussi que leur rêve de faire sauter l’Europe, — si jamais ils devaient le réaliser, — signifierait non pas le triomphe, mais la ruine du socialisme et conduirait les peuples épuisés de souffrance aux plus grands désastres.

Mais il n’est évidemment pas donné à Lénine de voir cela. Le destin sait admirablement dissimuler ses intentions à ceux qui n’ont pas à les connaître. Il a trompé les monarques, il a trompé les classes dirigeantes de l’Europe, il a trompé les socialistes russes qui ne connaissent rien aux affaires gouvernementales. Est-il dans les destinées de l’Occident d’être victime de ses illusions et de subir le sort de la Russie, ou bien le destin s’est-il déjà rassasié des maux humains ?

Seul l’avenir peut répondre à cette question, — et peut-être un avenir pas trop éloigné.

En Russie, les hommes tout jeunes et pas très intelligents prédisent avec assurance que le bolchévisme se répandra à travers le monde entier.

L. CHESTOFF.