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notre plus haute tâche, c’est là notre rêve suprême. Nous donnerons à l’Europe des idées. L’Europe nous donnera sa technique, son savoir-faire, son don d’organisation, etc… »

Telle est l’ultima ratio des Bolchéviks. Que vaut-elle ?


VII

Pendant mon long séjour dans les régions qui se trouvent au pouvoir des Bolchéviks, j’ai noté un fait très curieux. C’étaient les tout jeunes gens et aussi les gens pas très intelligents qui devinaient et prévoyaient le mieux les événements. Au contraire, ceux qui étaient un peu plus âgés ou un peu plus intelligents se trompaient toujours dans leurs prévisions. Ils croyaient que la Russie ne resterait pas longtemps sous la domination des Bolchéviks, que le peuple se soulèverait, qu’à la première apparition d’une armée plus ou moins organisée les armées bolchévistes fondraient comme la neige au soleil. La réalité a démenti les prévisions des hommes intelligents et expérimentés. Denikine avait tout de même créé quelque chose comme une armée et avait poussé avec une grande rapidité jusqu’à Orel ; mais plus rapidement encore les Bolchéviks l’ont rejeté jusqu’à la Mer Noire. Ce sont les jeunes gens et les hommes pas très intelligents qui se sont montrés bons prophètes. Et maintenant, lorsqu’on cherche à entrevoir l’avenir, on se demande : Qui croire, les intelligents ou les non intelligents ? Les hommes intelligents partent du point de vue qui leur paraît l’évidence même, que les hommes et les peuples sont guidés dans leurs actes par leurs intérêts vitaux et sentent instinctivement ce qui leur est utile et ce qui leur est nuisible. Pour eux, il était clair que le bolchévisme était pernicieux, qu’il aboutirait à des désastres, à la faim, au froid, à la misère, à l’esclavage, etc… Par conséquent, disaient-ils, il ne peut pas durer longtemps. Il se maintiendra des semaines, des mois peut-être, et périra de lui-même. Mais il s’est déjà passé plus de deux ans, il y en aura bientôt trois, et le bolchévisme subsiste. Il subsiste, bien que la faim, le froid et les épidémies fassent rage. Ce