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— il est nécessaire de répéter incessamment et à tout bout de champ aux Russes cette chose qui semble un lieu commun, — il ne saurait naître rien de ce qui est apprécié par les hommes sur la terre. Seuls les Krepostniki invétérés de la vieille Russie et ceux de la Russie prétendument rénovée peuvent ignorer un tel truisme. Je puis l’affirmer avec certitude : la date du 7 novembre 1917 doit être considérée comme celle de l’effondrement de la Révolution russe. Les Bolchéviks n’ont pas sauvé, mais trahi la population ouvrière et paysanne. Les phrases les plus retentissantes restent des phrases et la réalité reste la réalité. Ce qu’il fallait avant tout à l’ouvrier russe et au paysan russe, et même à l’intellectuel russe, c’était d’obtenir le titre de citoyen. Il fallait lui inspirer la conscience qu’il n’était pas un esclave, bafoué par quiconque en a le pouvoir, mais qu’il avait des droits, des droits sacrés, droits qu’il avait pour devoir de sauvegarder lui-même et que tous avaient à sauvegarder. C’est ce qu’a proclamé, comme tout le monde le sait, le Gouvernement Provisoire pendant les premiers jours de son existence. Mais les droits de l’homme et du citoyen, les droits auxquels, pendant des siècles et des siècles, avait aspiré le malheureux pays, ne sont restés inscrits que sur le papier. En réalité, quelques mois après, on avait commencé à rétablir l’ancien arbitraire. Les décrets et les nombreuses proclamations bolchévistes dont on a inondé la Russie ont été compris et interprétés par le peuple comme un appel à l’usurpation et au pillage : « Prend qui peut et tant qu’il peut. Après, il sera trop tard ».

Il est difficile de décrire la fièvre de pillage qui a secoué toute la Russie du front ; des soldats par cent milliers retournaient chez eux avec des sacs de butin. On fuyait aussi rapidement que possible pour ne pas laisser passer le moment. Les grands mots sur la solidarité, sur les problèmes internationaux, dont les Bolchéviks remplissaient abondamment leurs publications, n’ont jamais été entendus par personne. Le peuple s’est convaincu qu’aujourd’hui comme