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Européens, les tsars continuaient à habiter. On songeait non pas au ciel, mais à la terre. On s’organisait, pour aujourd’hui et pour demain. On luttait contre la pauvreté, le froid, la faim, les épidémies. On construisait des fabriques, des usines, des chemins de fer. On établissait des parlements, des tribunaux. Il semblait parfois que les gens allaient s’arranger et que le royaume des cieux régnerait sur la terre. Quoi de plus effrayant !

Les Européens secouent évidemment la tête. Ils savent que les appréhensions d’Hertzen doivent être traitées pour le moins d’exagération : l’Europe était loin du royaume des cieux sur la terre, dans le passé, et maintenant encore elle n’en est pas bien près. Je dirai, pour ma part, que ces appréhensions des Russes étaient tout à fait injustifiées. Bien entendu, si l’on s’était borné à jeter bas le tsar de son trône, mais que le tsar fût resté dans les têtes, nous n’aurions pas connu les effroyables choses que nous connaissons maintenant ; la Russie aurait conservé son unité, elle ne serait pas décomposée, le peuple ne mourrait pas de faim, de froid et d’épidémies, les paysans et les ouvriers auraient respiré plus librement, affranchis de leur esclavage séculaire. Est-ce que tout cela est le royaume des cieux sur la terre ? Est-ce que, même dans la Russie rénovée, il n’y aurait pas eu encore assez de difficultés et de douleurs pour les fils de la Russie ? Est-ce que même l’Europe petite-bourgeoise était si heureuse que cela ? Les Européens n’ont évidemment pas besoin d’en être convaincus. Mais les Russes ont gardé, il me semble bien, jusqu’à présent leur manière de voir.


V

Peut-être qu’après cette digression on comprendra mieux pourquoi j’ai appelé les Bolchéviks des parasites. De par leur essence même, ils ne peuvent pas créer et ne créeront jamais rien. Les leaders idéologues du bolchévisme peuvent, autant qu’il leur plaira, décliner et conjuguer les mots créa-