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autres valeurs, et nous n’arrivons pas à leur arracher leurs richesses. Avec cela, la nouvelle bourgeoisie n’a plus aucune des traditions qui, dans une certaine mesure, refrénaient les appétits de l’ancienne bourgeoisie.

La Russie a toujours été le pays de l’arbitraire par excellence. Les ministres tsaristes du genre de Tcheglovitoff ou de Maklakoff n’ont jamais compris quelle grande force créatrice constituait dans un État une claire conception du droit. À tout moment ils insultaient le peuple et de la façon la plus abominable, dans sa conception du droit et de la morale. Il n’y avait pas en Russie de justice, non seulement de justice clémente, mais simplement juste. Le code établi par Alexandre II avait fini très rapidement par n’être considéré par ses ministres que comme une lourde chaîne dont — tout en gardant un décorum extérieur relatif — ils se débarrassaient progressivement. Le peuple le comprenait admirablement. Il savait dans quel but on instituait des chefs de zemstvos, pourquoi on introduisait la peine corporelle dans les campagnes. Et il haïssait les institutions et les autorités qui lui étaient imposées par une force extérieure. Mais, au fond de son âme, il gardait la foi en la vérité, cette foi qui a trouvé son expression dans les meilleures œuvres de la littérature russe. Il semblait même que le peuple eût foi aussi au Tsar et qu’il le considérât comme une victime des mauvais conseillers qui l’entouraient. Mais, la Révolution éclatant, il est devenu du coup clair que le peuple ne croyait déjà plus au Tsar. Si bizarre que ce soit, il ne s’est pas trouvé, dans toute l’immense Russie, une ville ou un canton se levant pour la défense du Tsar détrôné. Le tsar est parti, bon voyage ! On se passera parfaitement de lui ! C’est que la vérité que le peuple cherchait se trouvait non chez le tsar, mais ailleurs, chez ceux qui avaient lutté contre le tsar. Voilà la raison du colossal succès échu, au début de la Révolution, aux socialistes-révolutionnaires. La vérité était chez eux. Ils avaient souffert pour le peuple, tel était le cri général. Femmes, jeunes filles, vieillards, tous couraient