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créer. Il est bien plus simple, plus facile et moins pénible de vivre aux dépens de ce qui a été fait auparavant. Et en effet les Bolchéviks ne détruisent rien, somme toute. Ils vivent simplement avec ce qu’ils ont trouvé prêt dans l’ancienne organisation. Comme quelqu’un reprochait à Lénine que les Bolchéviks se livraient au pillage, il répondit : « Oui, nous pillons, mais nous pillons ce qui a été pillé. » Admettons qu’il en soit ainsi. Admettons que véritablement les Bolchéviks ne reprennent que ce qui a été pris de force avant eux : cela ne change rien à l’affaire ; les Bolchéviks demeurent des parasites, car, n’ajoutant rien à ce qui a été créé avant eux, ils se nourrissent des sucs de l’organisme auquel ils se sont attachés.

Combien de temps peut-on vivre ainsi ? Combien de temps la Russie peut-elle nourrir les Bolchéviks ? Je ne saurais le dire. Peut-être le degré de patience et la capacité de soumission de notre patrie tromperont-t-ils tous nos calculs. Que n’a-t-elle pas supporté, la Russie ? Quels parasites ne se sont pas nourris de ses sucs ? Je n’irai pas rappeler le XVIIIe siècle, les règnes d’Anna Ivanovna et d’Elisabeth Petrovna. Mais le XIXe siècle lui-même, a été, sous ce rapport, effroyable. La bureaucratie russe, disposant sans contrôle de la Russie et du peuple russe tout entier, partait toujours de ce point de vue que les fonctionnaires devaient commander et la population obéir. On raconte de Nicolas Ier que, pendant la guerre de Crimée, un de ses ministres lui conseillant de publier dans la presse des renseignements plus détaillés sur la marche de la guerre, les habitants de Pétersbourg étant inquiets et émus, il répondit : « Inquiets, émus ? Mais en quoi est-ce que cela les regarde ? »

Nicolas Ier était primus inter pares parmi ses fonctionnaires. Chaque fonctionnaire était convaincu que la population, les habitants — la Russie n’a jamais aimé, ni admis le mot citoyen — n’étaient qu’un objet de commandement. La population devait être heureuse d’avoir des maîtres,