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Ne lui laissant plus voir que l’être essentiel
Esprit qui chante et rit, fleur d’une âme sans fiel.
L’ombre élyséenne, où la nuit n’est que lumière,
Revoit, tout revêtu de splendeur douce et fière,

Melicerte, poète à la bouche de miel.
Dieux exilés, passants célestes de ce monde,
Dont on entend parfois dans notre nuit profonde
Vibrer la voix, frémir les ailes, vous savez

S’il vous aima, s’il vous pleura, lui dont la vie
Et le chant rappelaient les vôtres. Recevez
L’âme de Melicerte affranchie et ravie.


Quelqu’un autrefois a dit, paraît il, des vers français de Swinburne qu’ils étaient « les efforts géants d’un barbare » ; même en prenant le mot « barbare » au sens où le prenaient les Grecs, il ne semble pas que ce soit juste. Il n’y a rien de géant en tout cela. Il est même surprenant, quand on considère toute l’ardeur, la fougue que Swinburne a dépensées si admirablement dans son œuvre, et quand on sait quelle sorte de fanatisme il nourrissait pour Victor Hugo et son œuvre, de ne pas trouver dans ses essais poétiques français plus de la grandiloquence et des effets chers au poète des Contemplations. Pour l’effort, il est vrai qu’on l’y sent en plus d’un endroit ; et cela ne peut surprendre ; il manquait peut-être à Swinburne, pour y réussir tout à fait, de savoir moins bien le français, et de le parler davantage. À connaître trop bien, littérairement, une langue, à ne la connaître que littérairement, on risque de ne pouvoir pas l’écrire ou de l’écrire intolérablement bien ; que l’on se reporte plutôt à certaines tentatives du même genre, de Gabriele d’Annunzio, entre autres. Les poèmes de Swinburne, du moins, peuvent se lire avec agrément ; ils ne sont pas seulement des tours de force ; il y passe un peu de son propre génie, un écho affaibli de sa sensibilité, et quelque chose de cette dévotion qu’il ne cessa de nourrir non seulement pour la littérature mais pour l’esprit de la France elle-même[1].

  1. Le goût que Swinburne prenait à écrire des poèmes français était assez connu pour qu’on ait cru même devoir publier comme étant de lui des strophes françaises où il n’était pour rien ; tel ce court poème de deux strophes : « Dolorida » qui figure encore sous son nom au British Museum, sous Le titre : « In the Album of Adah Menken », in-18, de 4 p. (C. 5g. C. 26} et que Swinburne déclara précisément n’être pas de sa main, dans une lettre publiée par le Pall Mall Gazette du 28 décembre 1883. (Cf. A bibliograpbical list of the scarcer and uncollected works of A. C. Swinburne, par Thomas J. Wise, Londres 1897.)