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République des Lettres, un Nocturne, une sextine écrite en français. Swinburne avait demandé à Mallarmé de modifier tout ce qu’il lui semblerait nécessaire de changer ; Mallarmé, en conséquence, avait modifié le second vers, et cela amena de la part de Swinburne au moins trois volumineuses épîtres. D’autres changements furent faits par Swinburne sur les indications de Mallarmé ; quels étaient-ils, je ne m’en souviens pas ; mais la correction de Mallarmé, je me la rappelle fort bien : Swinburne avait écrit :

La nuit écoute et se penche sur l’onde
Pour recueillir rien qu’un souffle d’amour.

Pour recueillir rien ne sonnait pas bien à l’oreille de Mallarmé, et son changement témoigne d’un goût exquis. Il changea le vers en « pour y cueillir rien »… Swinburne discuta la modification avec Mallarmé, en maintenant que la raison qu’il avait d’employer « recueillir » était qu’il lui semblait que « cueillir » s’appliquerait mieux à des pommes et des poires qu’à un souffle d’amour » [1]

Nul doute que nous ne trouvions quelque jour dans les deux volumes de Correspondance de Swinburne, qui devront paraître prochainement et dont l’annonce a été récemment faite, ces lettres adressées à Mallarmé qui nous éclaireront sur le rôle de correcteur qu’il a joué dans la circonstance.

Longtemps après, en 1891, au moment même de la mort de Banville, Swinburne faisait une nouvelle incursion dans le jardin des Muses françaises, en écrivant dans la forme du sonnet une sorte de paraphrase française de la Ballad of Melicertes qu’il avait, pour le même propos, écrite en anglais et qui figure aujourd’hui, ainsi que le sonnet français, dans le recueil : Astrophel and other poems. À mon sens, c’est là son œuvre française la meilleure ; il a réussi à trouver un vers plus souple, un vers mieux à rendre son émotion ; on retrouve là quelque chose de cette fluidité, de cet incomparable accent qui marquent tant de ses inoubliables poèmes anglais. La poésie française de Swinburne a toujours un peu comme un parfum d’anthologie grecque, mais ici ce parfum se combine fort heureusement avec la grâce particulière du délicieux poète qui en formait l’objet et avec la nature même de son œuvre.

AU TOMBEAU DE BANVILLE

La plus douce des voix qui vibraient sous le ciel
Se tait ; les rossignols ailés pleurent le frère
Qui s’envole au-dessus de l’âpre et sombre terre,

  1. Life of Swinburne, p. 318.