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Dernier soir campagnard, ma douleur est intense.
Touraine qui m’as reçue pendant un an de guerre,
à Toi j’adresse ce soir
un dernier appel et une dernière prière.
Tu ne m’as pas trop donné, Touraine !
j’ai su te comprendre et j’ai su t’aimer.
Belles chevauchées des rois à travers la forêt,
vous hantez mes rêves et je pars à regret.
Mais ainsi…
La guerre perpétuelle aiguise ma nostalgie.
C’est la vie que j’appelle !
Que la mort soit bannie !
Toute ma force se révolte en te contemplant
ma terre !
Toi que l’on a voulu prendre,
que l’on a voulu enlever à ma jeunesse
et que j’aime d’un amour illimité !

Les voitures passent sur le pont.
La roue du moulin tourne près du pont.
J’entends son rythme lent
et le saut des poissons (sous le pont).
Tout cela va finir.
C’est le dernier soir.
Je ne verrai plus le jardin provincial
avec ses fouillis d’herbe
et son grand ciel d’étoile.
Éperdûment je me rejette dans la vie bourdonnante,
dans Paris : ma ville fascinante.
Mais le triste attrait de ce que l’on quitte
me retient en arrière…
Ah ! faiblesse ! Mauvaise constitution de l’homme
en face de l’Avenir !
Il faut partir,
Éternellement quitter.
Le but n’est pas ici. Il est beaucoup plus loin,
derrière la mort, — en dehors de l’atteinte de nos mains.