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vous y autorisent, comme c’était le cas cette année-là ; alors on se laissait aller.

On vit les hommes revenir des champs ; ils s’abordaient la pipe à la bouche, ou, s’appelant de loin, échangeaient des plaisanteries, tandis qu’autour de la fontaine les filles se poussaient du coude et éclataient de rire à tout moment.

Dans le ciel qui avait verdi, des petits nuages passaient ; les grands rochers d’en haut la montagne étaient roses ; une douceur habitait toute chose ; cent ou deux cents maisons sont là qui se serrent autour d’une haute église à clocher carré, c’est un palier dans la montagne. C’est sept ou huit gents habitants logés un peu haut, mais bien abrités contre les vents du nord et ceux du sud, par deux chaines parallèles, entre lesquelles s’allonge une vallée qu’ils dominent, et ainsi ils sont au chaud et ont jusqu’à des figuiers dans les bas s’ils veulent, tandis que les hauts sont en pâturages, et plus haut encore viennent des glaciers.

Il y avait l’organisation de tous les villages : un président, trois ou quatre municipaux, un conseil de commune, un secrétaire du conseil, un maître d’école, un curé ; il y avait deux auberges, deux boutiques ; et, devant l’église, s’étend une place où on se réunit après la messe.

C’est d’ailleurs bien le seul espace découvert qu’on trouve dans tout le villages à part elle, il est en effet tout entier en petites rues même souvent pas assez larges pour que puisse y passer un char, les mulets seuls peuvent y passer ; et tortueuses encore tellement qu’on ne voit pas à plus de dix pas devant soi,

Toutes les cheminées s’étaient mises à fumer, on savait bien ce que ça voulait dire. Quand il fait rose ainsi sur les grands rochers en haut la montagne et qu’en bas les cheminées fument, c’est que l’heure de la soupe ne va pas tarder à venir.

On le voyait d’ailleurs assez ; sur tous les chemins des gens s’en venaient, se dirigeant vers le village ; les rues, elles aussi, étaient pleines de monde, il passait pas mal de mulets ; — ainsi, dans la joie d’un beau soir, quand même les barrières en bois sec des jardins semblent reprendre vie, ça va, ça vient, c’est cette odeur de soupe qui sort par les portes ouvertes et des femmes se tiennent penchées sur les foyers dans les cuisines,

Puis il se fit un grand silence, et il n’y avait plus personne dans les rues, parce qu’on était en train de manger.