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CHAPITRE PREMIER


I

L’homme arriva vers les sept heures, mais il faisait grand jour encore, parce qu’on était en été.

IL était petit, maigre, et un peu boiteux, semblait-il ; il portait sur le dos un sac de grosse toile grise, qui avait l’air de peser lourd.

Il n’y eut pourtant point d’étonnement parmi les femmes qui causaient entre elles devant les maisons, quand elles le virent venir, et les hommes, occupés, eux, dans les granges ou dans les jardins, c’est à peine s’ils levèrent la tête : sûrement que ça devait être un ouvrier de campagne en quête d’ouvrage, comme on en voit passer tous les jours.

Quelques-uns ont une faux au bout du manche de laquelle ils attachent leur baluchon, d’autres portent leurs bottes pendues autour du cou ; il y en a des vieux, des jeunes, des grands, des petits, des moyens, des gras et des maigres ; quels qu’ils soient et d’où qu’ils viennent, on sait assez qu’ils ne valent pas cher. C’est toujours la même mauvaise graine, saoulons, fainéants, querelleurs ; et difficiles avec tout ça, capricieux, portés sur leur bouche : la honte des honnêtes gens.

Un de plus qui passait, voilà ; il faisait très beau, il faisait tout rose. Il y avait ce soir-là, on peut le dire, du contentement dans les cœurs. Outre le beau temps qui durait, l’année s’annonçait de plus en plus comme devant être une bonne année : les vignes d’en bas venaient bien, on avait déjà eu de l’herbe en abondance, le foin ne manquerait pas non plus, et, quant au froment, qui commençait seulement à changer de couleur, rarement on l’avait vu si dru, si bien fourni, si fort de tige. Raisons de se réjouir, n’est-ce pas ? quand même il ne faut pas se trop fier aux choses, mais le contraire serait pis peut-être, et à trop s’en méfier on les découragerait. Il faut quelquefois savoir se laisser aller, surtout quand les signes