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mains, et il eut le pouce emporté. On l’assit sur un tas de fagots devant chez lui et les femmes allèrent chercher une cuvette, où elles lui dirent de tremper la main ; en un rien de temps, l’eau fut rouge. Et lui, quoique solide, en voyant son sang qui coulait, une fadeur lui venait à la bouche qui le fit devenir tout pâle : « Mon Dieu, disaient les femmes, le voilà qui prend mal ! » Cependant, de dedans le corps, la machine à pression du cœur continuait de pousser un jet mince, et on ne put l’arrêter que quand on se fut procuré un bon paquet de toiles d’araignées, qu’on appliqua où il fallait.

Trois jours après, un nommé Mudry, qui était cousin de Baptiste, tombait d’en haut une paroi d’une centaine de mètres et se fendait la tête en deux.

La petite Louise, la fille du sonneur, prit le croup. Deux bêtes crevèrent, la même nuit, dans la même étable. Un fenil tout neuf brûla.

Mais tout cela n’était encore que des événements extérieurs à vous ; il peut y avoir ce qu’on appelle des coïncidences, même un proverbe dit qu’un malheur ne vient jamais seul. Le plus inquiétant fut donc ce qui se passait au-dedans des gens, parce que leur nature changeait rapidement, et pas dans le sens qu’il aurait fallu, et la mauvaise graine en eux levait vite, tandis que la bonne était étouffée.

Il y eut l’exemple de Trente-et-Quarante, qui avait eu un enfant d’une autre femme que la sienne, et, comme il lui coûtait cher à entretenir, et, cette femme, il ne l’aimait plus, — un soir donc que le petit dormait, la mère ayant été chercher de l’eau à la fontaine, il le mit dans un sac qu’il noua par le bout, et, se laissant aller à la pente, droit devant lui, jusqu’à la plaine, il le jeta dans la rivière qui coule là. Il avait attaché une grosse pierre au paquet, on ne voyait déjà plus rien dans la rivière. Et Trente-et-Quarante se sentit heureux.

Il y eut aussi cette bataille de garçons, une nuit de la fin de la vendange qu’ils remontaient en troupe au village, et il est vrai qu’ils avaient un peu bu, et le vin nouveau est méchant, mais jamais jusqu’alors les choses n’avaient été si loin.

À ce qu’on raconta depuis, la dispute avait commencé au sujet d’une fille que l’un d’eux s’était vanté d’avoir embrassée quand ce n’était pas vrai. Pourquoi donc s’en vantait-il ?

On peut bien taquiner quelqu’un, mais à la condition de