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le découvrit, le quatrième jour, je crois, et il faut bien dire qu’il sentait déjà, et il avait la figure toute noire. Il s’était pendu derrière sa porte à un simple bout de ligneul, qui est comme on sait de la ficelle enduite de poix, et très résistante ; à cause de sa minceur elle lui était entrée profondément dans le cou : à peine si la tête tenait encore.

Et ce fut là ce qui piqua la curiosité des gens, et dans quel état on l’avait trouvé et les détails de cette espèce ; à l’homme personne ne pensa, personne non plus à son âme. On ne sonna pas les cloches pour lui ; on l’enterra dans un coin comme un chien. Et déjà il était oublié, et l’événement lui-même eût été vite oublié, parce que, des pendus, chez nous, on en voit plus qu’on ne voudrait, si Luc n’eût saisi ce prétexte pour reparaître, et il parlait plus haut, avec plus d’assurance.

— Vous voyez !

On lui disait :

— Qu’est-ce qu’on voit ?

— Si j’avais tort ou non quand je vous disais de vous méfier. Une mauvaise influence est sur nous depuis que cet homme est venu, et les signes vont apparaître… Déjà Jacques Musy est mort.

— Jacques Musy, répondait-on, c’est vrai qu’il s’est pendu, mais pourquoi est-ce un signe ? Ce qui fait le bonheur des uns fait le malheur des autres. Ça s’est toujours vu, ça se verra toujours.

Il y a ainsi une façon de se résigner à la vie qui est peut-être la sagesse ; Luc n’en continuait pas moins de crier, et secouait la tête en s’en allant par les chemins.


CHAPITRE DEUXIÈME


1

Les signes, à vrai dire, ne commencèrent à se montrer que beaucoup plus tard ; il y avait bien trois ou quatre mois que Branchu était installé au village.

N’empêche qu’octobre étant venu (mais, en somme, qu’est-ce que ces choses ont à faire les unes avec les autres ? on les met comme elles viennent, simplement), un matin que Baptiste le chasseur tirait un lièvre, son fusil lui éclata dans les