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d’un bon centimètre à la longue ; on dirait qu’on les a frottés au papier de verre ! »

Quoi d’étonnant, si, à un moment donné, il en avait eu assez de toujours changer de place, et « me voilà bien content maintenant, reprenait-il, à cause que je suis chez des amis ».

— Ça, c’est vrai ! répondait-on.

Et comme quelques-uns ajoutaient : « Mais, votre métier de cordonnier, où est-ce que vous l’avez appris ? — Ah ! parfaitement, disait-il, j’ai oublié de vous en parler ; c’est en Allemagne, une fois ! »

— En Allemagne !

Ils voyaient un-pays où il faisait très froid, où le ciel était toujours gris et plein d’hommes à barbe rousse, avec des sentinelles, coiffées du casque à pointe, à l’entrée de chaque chemin.


4

Il n’y eut bientôt que Luc, au village, à ne point tenir pour Branchu, mais non seulement il n’y venait pas : plus le temps passait, plus une sourde irritation le faisait s’élever contre le nouveau venu, et il répétait tout le temps : « Méfiez-vous de cet homme, méfiez-vous ! »

Il est vrai qu’il passait pour n’avoir plus sa tête, et tantôt, la Vierge, tantôt quelqu’un des Saints, tantôt Jésus lui-même lui apparaissaient.

Il avait étudié pour être prêtre, puis pour être notaire ; il n’avait, jamais été prêtre, ni notaire, on ne lui avait même jamais connu aucun métier ; et il vivait depuis longtemps chez une sœur qui l’avait recueilli, sans quoi il eût crevé de faim.

Il passait ses journées à lire dans des gros livres, ou il se promenait dans le village, s’arrêtant devant chez les gens pour les rappeler, comme il disait, « au respect des Commandements » ; sa grosse barbe ébouriffée sortait de dessous un chapeau melon tout cabossé et enfoncé jusqu’aux oreilles : il portait une espèce de longue redingote noire effrangée dans le bas ; les gamins lui jetaient des pierres.

On le voyait alors s’arrêter brusquement, et il se retournait en leur faisant le poing, mais eux déjà s’étaient sauvés.

C’était un de ces hommes, comme on en voit beaucoup, qui,