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clou, quand un matin Lhôte arriva avec une paire de bottes, et il dit : « Il faudra me les ressemeler. »

Ce fut lui qui vint le premier, pour dès raisons de politesse : il n’eut pas à s’en repentir. Le soir déjà ses bottes étaient prêtes. Il demanda ce qu’il devait, l’autre lui répondit que ça faisait deux francs. Deux francs, c’était bien 1x moitié de ce qu’on payait d’ordinaire : alors Lhôte fut inquiet quand même et il se hâta de rentrer chez lui, afin d’examiner l’ouvrage de plus près.

Il n’en pouvait croire ses yeux : non seulement le cuir était de la meilleure qualité, mais elles étaient à double semelle, et entièrement cousues à la main.

Il essaya ses bottes, jamais il ne s’était senti si bien dedans.

C’est pourtant étonnant, n’est-ce pas ? de payer si peu et d’être si bien servi ; voilà des bottes que je porte depuis quatre ans, elles ont l’air de bottes neuves, et encore qu’il me les a cirées, avec un cirage on ne sait pas avec quoi il est fait, mais il brille qu’on a presque honte et tout le monde va vous regarder les pieds. Il faudra que j’attende à dimanche de les mettre.

La meilleure réclame, c’est le client lui-même qui la fait. On le vit bien dès le lendemain, de nombreuses personnes se présentèrent, et même les bottines à boutons avant la fin de la semaine étaient vendues.

Ce fut Virginie Poudret qui en fit l’acquisition, si on peut se servir du mot, mais c’est une petite histoire qu’il faut qu’on mette à cette place afin de mieux faire voir où les choses en étaient : donc, trois ou quatre fois, les filles, quand elles se promenaient le soir, et, se donnant le bras, elles allaient par bandes, avaient admiré lesdites bottines, sans qu’aucune d’elles osât se risquer à en demander seulement le prix.

Mais Virginie était coquette et le dimanche allait venir. Elle eut une idée. « Le mieux, se dit-elle, c’est que les autres ne sachent rien. Il ne me mangera pas, cet homme ; si c’est trop cher, je n’aurai qu’à m’en aller. »

Elle arriva vers les midi, c’est-à-dire au moment où tout le monde est en train de manger la soupe ; Branchu sortit de sa cuisine.

Sans doute qu’il était, lui aussi, en train de manger : il ne