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tait que le menuisier du village, à qui il avait commandé ses meubles, ne les lui avait pas encore apportés.

Les uns, en le voyant venir, firent mine de s’en aller ; d’autres eurent l’air de ne pas le voir (certains malgré tout restaient méfiants), plusieurs néanmoins s’avancèrent. Lui, à son ordinaire, gardait un air très calme, un air très à son aise, et comme on lui parlait de son enseigne et on le félicitait :

— Voilà, dit-il, j’ai beaucoup hésité, J’aurais peut-être mieux fait de peindre le fond en rouge… Couleur de flamme, c’est ma couleur.

Et pour la première fois, il se mit à rire.


3

A quelques jours de là, le menuisier apporta les meubles ; dès le lundi matin Branchu s’absenta. Personne ne le vit partir.

Il ne rentra que le samedi suivant, et un homme l’accompagnait, lequel menait un mulet par la bride.

La bête était lourdement chargée et semblait avoir fait un long chemin ; son poil était tout eu sueur, elle avait le mors blanc d’écume.

Branchu aida l’homme à la décharger, et, se haussant sur la pointe des pieds jusqu’en haut des sacs posés sur le bât, ils en dénouërent les cordes. Ainsi un premier gros paquet rond fut descendu, enveloppé dans de la toile à sac, puis un second paquet tout pareil au premier ; dessous alors on découvrit une sorte de sacoche en cuir de forme plate, où il devait y avoir des outils.

Le tout fut entré dans la pièce de devant, où l’établi était déjà installé, et celui que tout le monde connaissait maintenant sous le nom de Branchu (et on lui donnera ce nom par la suite) paya l’homme du mulet, ce qui fit 15 fr. 30. Et l’homme s’en retourna d’où il venait, non sans s’être pourtant arrêté à l’auberge, où il raconta qu’il était de Borne-Dessous, qui est uue petite ville dans la vallée, qu’il avait là une entreprise de transports et que, ce que son mulet avait transporté ce jour-là, c’étaient des cuirs de diverses sortes et tout ce qu’il faut à un cordonnier qui s’établit.

Il disait vrai, comme on le vit dès le lendemain, qui fut le jour que Branchu ouvrit boutique. Partout, des peaux pendaient aux murs, et l’établi était couvert d’objets tout neufs,