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— Demain matin, dit Lhôte…

Et les autres :

— Oui, demain matin.

Ils parlaient tous à la fois, ayant fini par se défaire de leur timidité et aussi de leur méfiance ; mais c’est que l’affaire les intéressait, et puis l’homme n’avait pas bronché quand il avait été question d’argent.

— Même que c’est une jolie boutique, dit quelqu’un, et bien située.

— Et que la clientèle est faite, dit un autre.

— Et qu’on a beau n’être pas riche, dit un troisième, on paie comptant.

— Merci, Messieurs, dit alors l’homme (et il toucha de nouveau l’aile de son chapeau), merci surtout à vous là-bas qui ayez une barbe noire.

Lhôte dit :

— Je m’appelle Lhôte et je suis maréchal-ferrant.

— Eh bien, monsieur Lhôte, dit l’homme (il disait M. Lhôte, on en était flatté), vous vous êtes montré d’une grande complaisance envers moi : vous me permettrez bien de vous rendre la politesse,

Et frappant avec le fond de son verre sur la table :

— Eh ! patron.

Comment se fit-il que les rôles eussent été si vite intervertis ? mais rien qu’à la façon dont Simon s’empressa d’accourir, on put voir combien l’homme avait gagné en importance.

— Trois litres pour ces messieurs, et ce que vous avez de meilleur !

Là fut le grand coup, ces trois litres, à quoi personne ne s’attendait. Il y eut tellement de surprise, au premier moment, que personne, pas même Lhôte, ne pensa à remercier ; avaient-ils seulement bien entendu ? Trois litres ! et ils n’étaient que huit, et pour la peine qu’ils avaient eue, encore ! Fallait-il que l’homme fût riche, ou généreux ! De toute façon, ils n’en revenaient pas. Et ce fut seulement quand le patron reparut, portant les trois litres demandés, deux de la main gauche et un de la droite, qu’ils retrouvèrent la parole.

Ils dirent tous ensemble, les uns : « Oh ! merci », les autres : « Vous êtes bien bon ! » puis personne ne parla plus.