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On comprenait assez Criblet. Le boire, maintenant, ne lui coûtait pas cher, le coucher guère plus, le manger pas davantage. Il y avait deux ou trois caisses de macaronis, un sac de pz, un tonneau de harengs : des saucisses et des jambons en quantité pendaient dans la cheminée ; ces sortes de choses d’ailleurs ne l’intéressaient qu’assez peu : où il avait été tout d’abord, c’était à la cave, et avait tapoté l’un après l’autre les tonneaux : alors il avait paru rassuré.

Ils menaient joyeuse vie, ils n’étaient encore que les trois. L’Homme, Lhôte et lui, ça allait très bien. L’Homme paraissait tout content, Lhôte ne disait pas grand’chose, lui était libre comme l’air. Il descendait avec son litre vide, il remontait avec son litre plein ; il allait s’installer près de la fenêtre, à une des tables : dix à douze verres ne nous font pas peur. Mais, de même que dans ces machines à musique, où on n’a qu’à mettre deux sous, le dernier surcroît d’un verre vidé provoquait chez lui un déclenchement, et une chanson commençait qui avait bien vingt-cinq couplets, qu’il chantait en branlant la tête. Des heures il restait sans bouger (sauf le mouvement de sa tète, et celui de lever son verre, qui est un mouvement plaisant ; oui. c’était une bonne vie). L’arrivée de Clinche gâta un peu les choses.

Car Clinche fut le premier qui arriva d’entre les gens du village, étant venu heurter un soir, et on l’avait fait entrer.

Il dit :

— Ma femme me rendait la vie intenable. J’ai bien essayé de la corriger, je m’y suis pris de toutes les façons, rien n’y a fait, elle est barrée. Alors je lui ai dit que je foutais le camp.

Et, humant l’air avec satisfaction :

— Il fait meilleur chez vous tout de même. Si ces messieurs le permettaient…

L’Homme dit simplement :

— Vous voyez, il y a de la place.

Et Clinche s’était installé, qui fut ainsi le quatrième, et il ne s’en, repentit pas.

C’est qu’on sentait assez que l’Homme ferait désormais tout ce qu’il voudrait. L’apparence des rues frappait par leur complet abandon. Personne. On ne sortait plus de chez soi qu’on ne se fût premièrement assuré que le personnage n’était