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très tirés en arrière, son front était lisse et tendu. Elle était seulement un peu pâle de teint.

Et sa mère la prit contre elle, l’ayant assise sur ses genoux. Douce consolation, quand même ! On n’entendait plus rien qu’un craquement parfois comme si quelqu’un marchait sur le toit. C’était la neige qui commençait à fondre.

— Écoute, ma petite Marie, puisque tu veux bien, sais-tu ce qu’on va faire ? Je ne peux plus rester ici… (elle s’arrêta un instant), non, j’aime mieux ne pas rester, et aussi à cause de toi ; alors j’ai pensé à notre petite maison d’en haut la montagne. Il n’y a qu’une chambre, mais c’est assez pour nous, et on y sera très seules, c’est vrai, mais quand je suis avec toi, je ne me sens jamais seule…

— Et moi non plus, maman, dit la petite Marie, quand je suis avec toi.

Alors Adèle l’embrassa longuement ; il semble qu’on ne va plus pouvoir ôter ses lèvres. Toujours ce bruit qui se faisait entendre sur le toit et un paquet de neige en tombait par moment.

Tout à coup la petite Marie demanda :

— Et papa, est-ce qu’il viendra avec nous ?

— Oh ! oui, dit Adèle, il viendra.

— Et quand est-ce qu’il viendra ?

— Pas encore, dit Adèle, parce qu’il est parti pour un grand voyage, mais bien sûr qu’il viendra quand même…

Et elle se détourna, prise d’une grande envie de pleurer.

Il faut pourtant se contenir, il faut même paraître gaie : là est le plus difficile et le plus dur. Mais elle tâchait de tout cacher à l’enfant, se disant : « C’est déjà bien assez que je souffre, sans qu’il y en ait une de plus à souffrir. » Il était arrivé ceci qu’après le départ de son mari la punition était tout entière retombée sur elle et c’était sur elle qu’on s’était vengé. On lui disait : « Et ton mari le voleur, tu n’as pas de ses nouvelles ? Il a bien raison de ne pas revenir. » Beaucoup de personnes ne la saluaient plus. Et d’autres, au contraire, prenaient en lui parlant un faux air de pitié, avec des mots mielleux, des façons de pencher la tête qui lui faisaient plus mal encore. Elle avait bientôt vu qu’elle ne pourrait plus y tenir.

Mais il n’y a point de vraie solitude pour le cœur, quand il s’est donné. Un trou se fait, l’amour le comble. Il répare à