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la figure, cependant qu’ils criaient : « A boire, à boire ! » et on avait apporté un tonneau. Ils l’avaient roulé à travers la place, ils renversèrent un confessionnal, ils couchèrent le tonneau dessus ; puis ils vinrent tous et on plaça la boîte (qui est un robinet de bois). Il y a encore ce plaisir-là, quand on a soif et on ne se tient plus debout de fatigue, d’aller au vin frais qui vous rend vos forces. Et, ayant donc trinqué, tous faisaient cercle autour du tonneau, le verre à la main. Ils avaient amené avec eux le vieux Creux ; le vieux Creux lui aussi était assez parti. Il s’ennuyait déjà de son accordéon. Il dit tout à coup : « Avez-vous fini ? Je vais en jouer encore une, et ce sera la plus belle de toutes. » On le suivit : la fatigue était loin. Et voilà que comme on s’en revenait vers l’autel, où les cierges brûlaient encore, mais ils avaient déjà beaucoup diminué, une grosse fille à joues rouges, nommée Lucie, se mit à rire et se tenant là, les poings sur les hanches : « C’est triste quand même, disait-elle, le peu de variété qu’il y a !… Rien ne change. Tous les garçons qui sont là, j’ai dansé avec eux. Ils m’ont déjà tous embrassée. Est-ce qu’il va falloir recommencer ?… » Elle riait. C’était une bonne fille, gaie et dévouée, qui avait seulement trop le goût du plaisir. Où son corps lui disait d’aller, elle allait, et, ce que son corps lui disait de faire, sans penser plus loin, elle le faisait. C’est ainsi qu’elle était venue dans les premières à l’auberge et, plus qu’aucune autre, elle s’y était plue, les amusements y étant nombreux. On connaît que certaines gens sont à leur place, d’autres pas. Elle, elle était à sa place. Mais, parce que, plus on va, plus on devient exigeant, et les joies où on a goûté cessent déjà d’être des joies, jusque parmi les divertissements, des bâillements à présent lui venaient. Tout se répète, comment faire ? Et voilà que les garçons s’approchaient d’elle, parce qu’ils avaient envie d’elle, mais elle les repoussa tous : « Non pas toi… toi non plus I… » Et les yeux brillants, rouge, dépeignée, elle leva ses bras, qu’elle repliait lentement en ramenant ses mains à sa figure, et sa poitrine se haussait. Cependant Creux était reparti, le cercle s’était reformé, quelques couples tournaient déjà, et comme elle était seule à n’avoir pas bougé, les autres la frôlaient au passage, s’amusant à la bousculer. Puis soudain quelqu’un lui cria : « Sais-tu, puisque tu ne nous trouves pas assez bons pour toi, il y en aurait peut--